TOTAL Mineur d'uranium
Publié le 11 mars 2018, modifié le 12 mars 2018
Bernard Estève - Jean Paul Lehmann
Diversification énergétique de CFP
En 1972, à l’instar de la plupart grandes compagnies pétrolières internationales qui l’avaient précédée dans cette voie, la Compagnie Française des Pétroles (CFP) anticipait une pénurie mondiale d’énergie à l’horizon 2000 et amorça une diversification vers les sources énergétiques autres que les hydrocarbures. Dans ce but, la CFP créa une Direction des Projets Stratégiques incluant trois secteurs : nucléaire, charbon, énergies renouvelables (géothermie, solaire, éolien).
Les activités nucléaires de la CFP relevèrent d’une nouvelle direction baptisée Total Mines Nucléaire (TMN) et une filiale dédiée fut créée sous le nom de Total Compagnie Minière et Nucléaire (TCMN). L’approvisionnement en uranium naturel des centrales nucléaires d’EDF dépendait alors exclusivement des fournitures de la branche minière du CEA (Cogema ne fut créée qu’en 1976). Le gouvernement, souhaitant une diversification des sources garante de sécurité d’approvisionnement, encouragea la CFP à se développer dans cette voie afin d’en fournir environ 25%. L’idée était alors de créer un ‘second mineur français d’uranium’...
Rössing
La compagnie minière britannique Rio Tinto-Zinc Corporation (RTZ) avait décidé de développer le gros gisement d’uranium de Rössing au Sud-Ouest Africain (aujourd’hui Namibie) et recherchait des partenaires susceptibles de participer au financement des installations minières et d’enlever une part de l’uranium qui y serait produit. EDF était intéressé par le projet, mais ne pouvait pas entrer dans le jeu, car cela aurait semblé cautionner le régime d’apartheid que l’Afrique du Sud imposait au Sud-Ouest Africain. Il fut demandé à la CFP d’acquérir une participation de 10% dans la compagnie Rössing Uranium Ltd. (RUL) et de s’engager à enlever 10% de la future production pour le compte d’EDF.
Parallèlement, la CFP se lança dans un programme de prospection d’uranium qui débuta par une campagne d’exploration en Mauritanie en partenariat avec le CEA. Ayant ainsi le pied mis à l’étrier, la CFP, rebaptisée entre temps Total, démarra en FrancePays FranceShow more et à l’étranger une vaste opération dans l’uranium qui allait durer 20 ans de 1972 à 1993.
1972-1975
Au cours d’une 1ère période 1972-1975, la CFP-Total fut active dans les prospections d’uranium en FrancePays FranceShow more (Corrèze) ; Europe (Irlande) ; Afrique (Sud-Ouest Africain en partenariat avec Anglo-American, General Mining et SNPA ; AngolaTotal AngolaShow more (avec la junte militaire portugaise) ; Etats-UnisPays Etats-UnisShow more (en partenariat avec le pétrolier Continental Oil Company (Conoco) pour prospecter les terrains sédimentaires du sud Texas ; en AustralieTotal en AustralieShow more du Sud avec l’industriel français de l’aluminium Pechiney.
Un projet de grande ampleur fit l’objet de négociations en vue de prises de participations de CFP-Total dans les industries du cycle du combustible fournisseurs des exploitants de centrales nucléaires dont, en premier lieu, EDF et ce dans les domaines de l’ingénierie de traitement des minerais (STEC), de la fluoration (Comurhex), du transport des matières radioactives (Transnucléaire), de la fabrication du combustible nucléaire (FBFC et Cerca), de la production de zirconium (Cezus), de la fabrication des gaines de combustible nucléaire (Zircotube), ainsi qu’une participation de 10% de la CFP-Total dans la future usine d’enrichissement isotopique de Pierrelatte (Eurodif). Mais ces négociations n’aboutirent pas.
1976-1982
Au cours de cette seconde période, les activités minières uranium de CFP-Total furent transférées à une société anonyme, filiale commune 50-50% de Total et Pechiney-Ugine-Kuhlmann (PUK) créée sous le nom de Minatome le 1er janvier 1976, en même temps que la Compagnie Générale des Matières Nucléaires (Cogema).
C’est Minatome qui géra alors des participations dans les productions minières suivantes : Société Centrale de l’Uranium et des Minerais et Métaux Radioactifs (Scumra) qui produisait de l’uranium dans le Massif Central français depuis 1955 ; exploitations minières conduites à Arlit au Niger, par la Somaïr, et à Mounana au Gabon, par la Comuf ; et indirectement (via PUK) dans la société Amok exploitant la mine d’uranium de Cluff au Saskatchewan (CanadaPays CanadaShow more). Toutes ces mines fournissaient de l’uranium à EDF dans le cadre de contrats d’achat à long terme.
En parallèle, Minatome engagea des prospections d’uranium de très grande ampleur dans différents pays d’Europe, Afrique, Amérique et AustralieTotal en AustralieShow more. Des opérations de prestation de service et coopération en ingénierie et exploration furent en outre menées à bien en AlgérieTotal en AlgérieShow more, Arabie SaouditePays Arabie SaouditeShow more, Nigéria et BrésilTotal au brésilShow more, ainsi que des missions d’expertise pour le compte de l’ONU et de l’OCDE au Burundi, Ruanda et en IndonésieTotal en IndonésieShow more.
1983-1993
Au cours d’une 3ème période 1983-1993, Total racheta la part de 50% de PUK dans Minatome et fit simultanément l’acquisition, auprès du groupe Empain-Schneider, de la Compagnie Minière Dong-Trieu (CMDT) qui exploitait la mine d’uranium de Jouac en Haute-Vienne. Le nouvel ensemble ainsi formé fut consolidé sous le nom de Total Compagnie Minière (TCM). Cette période fut essentiellement marquée par des opérations de grande taille en Amérique du Nord. Soucieuse de se réserver une part des futures productions canadiennes et américaines de Total, EDF lui accorda des conditions de développement très favorables.
Au CanadaPays CanadaShow more, Minatco, filiale de Total, racheta les droits de Canadian Occidental (Canoxy) et d’International Nickel Company (Inco) dans le domaine minier de Wolly situé dans le bassin d’Athabasca au Saskatchewan. Total y développa et mit en exploitation les gisements de McClean, Jeb et Sue en construisant une nouvelle usine de traitement du minerai. Total s’associa à la compagnie canadienne Denison Mines, qui lui apporta le gisement voisin de Midwest. Soucieuse de soutenir l’action de Total devenu son second fournisseur d’uranium, EDF lui assura, à des conditions avantageuses, un contrat de vente à long terme des futures productions de l’exploitation de McClean, d’autres parties de cette production étant vendues à l’électricien japonais Tokyo Electric Power Company (Tepco) et à plusieurs électriciens américains.
Aux États-Unis, en achetant, en partenariat avec EDF, la compagnie Malapai Ressources Company, Total Minerals Corporation (Tomin) a pu acquérir des réserves en terre et exploiter par la technologie du lessivage en place «in situ leaching» (ISL) des gisements d’uranium au sud du Texas (West Cole, Holiday-El-Mesquite, Rhode Ranch) et au nord du Wyoming (Irigaray, Christensen Ranch).
A cette époque, Total fournissait environ 2000 tonnes par an à EDF soit le quart de ses besoins.
Total et Cogema conclurent en avril 1993 un accord capitalistique de participations croisées assorti d’une clause qui conduisit Total à céder à Cogema l’ensemble des actifs miniers de TCM dans l’uranium à l'exception de la participation dans Rössing (RUL) rétrocédée à RTZ. Furent en même temps cédés à Cogema tous les contrats de vente par TOTAL de concentrés d’uranium à l'exception de celui lié à RUL qui fut cédé à EDF.
Voulue par Serge Tchuruk et Jean Syrota et bénie par Edouard Balladur, futur premier ministre, la prise de participation croisée entre Cogema et TOTAL allait à l’encontre du souci d’EDF de diversifier ses fournisseurs même si la véritable sécurité énergétique dont se revendique le nucléaire est de pouvoir stocker sur le sol national plusieurs années de consommation (8 à 9 000 tonnes par an pour EDF) ce que ne permettent pas les combustibles fossiles..... Bernard Estève, alors directeur du Service des Combustibles d’EDF, mis devant le fait accompli, développa alors des liens directs avec de nombreux mineurs (CanadaPays CanadaShow more, AustralieTotal en AustralieShow more ....) pour balancer le monopole de la Cogema. Si les négociations entre EDF et Cogema furent souvent tendues, elles se déroulèrent dans un climat de respect mutuel entre EDF et TOTAL, et TOTAL est resté un fournisseur privilégié d’EDF pour le charbon et dans une moindre mesure, le fioul.
Bernard Estève devait en septembre 2008 rejoindre TOTAL comme Conseiller Nucléaire du Directeur Général en charge de GEN (Gaz et Energies nouvelles).
La vente des actifs miniers et commerciaux de Total dans l’uranium devenue effective le 24 juillet 1993 mit un terme à une aventure de deux décennies.
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