Le Conseil de la Diversité a changé le traitement salarial des femmes, mais pas le regard porté sur elles

Publié le 10 septembre 2019, modifié le 02 décembre 2019
Je suis rentrée chez PetroFina en Belgique en 1989 après 15 années de journalisme économique et politique au sein du quotidien belge Le Soir. A cette époque, les hommes étaient majoritaires partout, sur les plateformes, au siège, dans les filiales. La communication faisait exception, identifiée comme un « métier de femmes » ! C’était, avec certaines fonctions de support, le périmètre réservé d’une minorité admise, qui n’empiétait pas sur le terrain des hommes. Au moment de la fusion de PetroFina et de Total, on a considéré que j’avais le bon casting ! Belge, femme, sans formation d’ingénieur, extérieure à Total, capable d’écrire et de parler… Ma voie était toute tracée ! C’était une chance pour moi. Directrice de la communication et du mécénat de Petrofina de 1989 à 1999, j’ai été successivement, après les fusions, responsable de la communication interne du Groupe (1999-2000), directrice de la communication d’Atofina, branche chimie (2000-2003), directrice de l’innovation sociale et de la diversité (2003-2008) et enfin, déléguée générale de la Fondation Total et directrice du mécénat du Groupe (2008-2016).
« La femme, un grand mystère ! »
En 1968, j’avais 16 ans… Je fais partie de cette première génération de femmes qui a pu assumer son autonomie personnelle, professionnelle, sociale et financière, indépendamment des hasards de la naissance et du mariage. Depuis mes premiers pas toute tremblante en tant que journaliste, j’ai toujours voulu partager ce privilège avec celles qui en sont privées. Le féminisme est pour moi le premier nom de l’humanisme. Quand j’ai été chargée de la diversité, en 2003, c’est donc le respect et l’équité envers les femmes, toutes les femmes du Groupe, qui m’ont inspirée. Les premiers mois, j’ai beaucoup observé… J’ai pu constater la résistance du plafond de verre, mais au-delà, une attitude des hommes mêlant curiosité, bonne volonté mais aussi, profonde incompréhension. Pour eux, la femme est un mystère…Certes, tout au long des années 2000, les lignes ont bougé. En 2003, nous avions lancé une étude auprès de 80 cadres, 40 hommes et 40 femmes, demandant à chaque groupe de décrire les qualités professionnelles respectives… Résultat : les femmes décrivaient les hommes dans leurs fonctions, les hommes évoquaient leurs collègues en tant que femmes ! La réticence à la promotion des femmes dans l’entreprise est bien liée à la manière dont les hommes, intimement et structurellement perçoivent le féminin.
« La féminisation et l’internationalisation, thèmes liés et différents »
En 2003, c’était déjà un grand pas en avant de travailler sur les deux priorités de la féminisation et de l’internationalisation. Le handicap, les questions de genre, les religions… ont été intégrés à la réflexion beaucoup plus tard.
Un Conseil de la Diversité a été créé en 2004, présidé par un membre du COMEX, constitué d’hommes et de femmes de toutes les nationalités. Plus d’hommes que de femmes, mais on avançait ! Sa mission : définir la politique diversité du Groupe et la mettre en œuvre. La grande innovation, c’est que l’on est sorti d’une approche strictement quantitative pour faire un état des lieux et analyser de la façon la plus fine possible les freins à la féminisation et à l’internationalisation. Progressivement, on a dissocié l’internationalisation -aux enjeux politiques et économiques évidents- et la féminisation, disons plus complexe. Certes on a cherché à comprendre pourquoi on perdait des femmes à tous les niveaux hiérarchiques . Pourquoi les hommes avaient-ils tendance à coopter des hommes aux postes stratégiques ? Pourquoi la différence faisait-elle peur ? En quoi la maternité était-elle pénalisante ?... On a pris des mesures concrètes : les recrutements se sont alignés sur le taux de féminisation des écoles, les périodes de maternité ont été neutralisées dans les progressions de salaire, l’égalité salariale est devenue une règle absolue, et par ailleurs, la loi a imposé des quotas dans les conseils d’administration… Le travail sur les stéréotypes, plus lent, plus dérangeant est malheureusement resté plus superficiel.
Cette étape de mon parcours a été très inspirante, il y a eu des victoires, des échecs, des avancées, des blocages, des belles histoires… Le Conseil de la Diversité a permis de tourner une page et de braquer les projecteurs sur les difficultés des femmes dans l’entreprise. On a travaillé honnêtement aux questions de rémunération et de promotion, le plus souvent dans le respect et l’écoute mutuels. Dans la foulée de ce travail, la parole des femmes s’est libérée. Ce n’est pas un hasard si c’est à ce moment que des salariées du Groupe ont créé Twice, un réseau social bien avant la lettre et sans doute jusqu’à aujourd’hui le plus dynamique . Il a créé et maintient entre les femmes un tissu solide de communication, d’entraide et de parrainage. Certains champions de la féminisation se sont révélés, comme les pères dont les filles arrivaient sur le marché du travail, et incarnaient ce combat à leurs yeux! Une nouvelle génération d’hommes a émergé, désirant par exemple vivre plus librement la paternité. Mais pour l’essentiel, dans l’entreprise comme dans la société, la femme demeure l’ « autre absolue» de l’homme, le patriarcat règne, engendrant trop souvent mépris et douleur. Désormais, il appartient aussi aux hommes de s’interroger sur le sens profond de cette domination, sur les voies d’une réelle égalité, source de liberté et de bonheur partagés.
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