Il ne sent pas bon mon carburant ?

Mon métier, c’était traducteur. Je m’efforçais de traduire du mieux possible les valeurs d’une marque en signature olfactive. Ce métier, je l’ai exercé chez Expressions Parfumées, une entreprise française de parfumeurs sise à Grasse comme il se doit.

En 1989, mon chemin a croisé celui des pétroliers et plus particulièrement de Total et de Elf. C’est alors l’âge d’or de l’automobile et du diesel. Le gazole, ce carburant des poids lourds et des VRP, se démocratisait et devenait synonyme d’autonomie, de puissance et de liberté. Son défaut ? Une odeur forte et persistante. Pour renforcer l’attractivité de leur carburant, les deux pétroliers voulaient gommer ces effluves et doter leur carburant d’une signature olfactive. C’est-à-dire d’un parfum en phase à leur image.

Pour Total, c’est une image de propreté, d’innocuité et de douceur... tant vantée dans sa campagne « Vous ne viendrez plus chez nous par hasard ». Quant à Elf, c’est l’énergie et la puissance que l’additif doit révéler. Pour tous, les enjeux financiers, marketing et de R&D sont énormes.

Nous travaillons bien en silo en séparant totalement nos démarches de développement car n’oublions pas que Total et Elf sont alors des concurrents. Au cours de ces travaux, les personnalités des deux entreprises s’expriment pleinement. D’un côté, le perfectionnisme et la prudence de Total qu’on appelait « la vieille dame de Levallois », de l’autre, la vivacité pétillante de Elf. A chaque fois, les travaux se révèlent complexes, tant sur le plan chimique et du développement car il faut parvenir à incorporer cette fragrance à un bouquet d’additifs sans toucher à la stabilité du produit, que sur le plan humain où il faut faire travailler ensemble les équipes marketing et R&D des clients. Ce qui, parfois, fut délicat ! 

Mon bonheur dans ce travail ? Réussir à faire d’un « non produit » - le gazole –  un "vrai produit "doté d’une personnalité... olfactive. Au final, c’est 40 grammes de fragrance qui sont incorporés dans une tonne de gazole. 40 petits grammes qui changent tout. Pour l’automobiliste et pour la marque.