De l’art de composer avec les fusions
Publié le 10 avril 2019
Ingénieur électricien de formation, je suis entré chez Petrofina en 1991 comme auditeur. Un métier dont je ne savais rien. Avec des missions parfois improbables comme celle qui m’a emmené au fin fond du Texas. Petrofina n’avait ni les moyens, ni la dimension de Total et nous faisions parfois avec les moyens du bord. En 1997, je suis parti à Milan en Italie - ma première expatriation - pour y diriger une activité commerciale. C’est à partir ce moment-là que le commerce va devenir le fil rouge de ma carrière, tout ingénieur que je suis. Surtout, je vivrai toutes les fusions du Groupe avec cette chance d’être toujours au bon endroit au bon moment !
C’est en Italie le 1er décembre 1998 - ce fut ma chance que d’être là - que j’ai vécu ma première fusion : celle de Total avec Petrofina. Le « géant » français prenait alors le contrôle du « petit » belge. Sauf qu’en Italie, je ne l’ai pas du tout ressenti comme cela. Là-bas, c’était un peu l’inverse qui se produisait... Petrofina a plutôt absorbé Total tant l’entreprise était bien implantée en Italie et présente sur tous les métiers. Tout le monde savait qu’un jour l’homme d’affaires Albert Frère, jugeant Petrofina trop petit pour exister durablement sur la scène mondiale, ferait cette opération ; nous ne savions ni avec qui, ni quand mais nous y étions préparés. François Cornelis ne partageait pas vraiment cette vision ; il considérait que les actifs de classe mondiale de l’entreprise - en qualité et en taille - la protégeaient. Quoi qu’il en soit, c’est le principe la stricte parité qui fut appliqué - y compris en Italie – comme ce le sera, pour la fusion entre TotalFina et Elf. Cette dernière, - je l’ai découverte en parcourant la « Une » d’un journal dans un kiosque sur la route des vacances...
En août 2000, quelques mois après son officialisation, je prends mes nouvelles fonctions de coordination des activités hors réseau à La Défense. 1er août, personne ne m’attendait et j’ai passé 15 jours sans voir quelqu’un. C’était une période étrange : tout le monde se regardait en chien de faïence, personne ne se connaissait et tout était à créer. Quant à moi, j’étais le seul ex-Fina au milieu de ces collaborateurs ex-Elf et ex-Total. Si les relations étaient apaisées, la différence de culture sautait aux yeux. Celle de Total, orientée résultat avec une mentalité un peu « cow-boy ». Celle de Fina était encore plus informelle, centrée sur le client avec cette touche belge faite de pragmatisme et d’intuition. Quant à Elf, c’était une entreprise de réseau, plus élitiste avec des collaborateurs souvent brillants. Ma chance était de me trouver à Paris pour vivre ce moment charnière de l’intérieur et accélérer mon intégration personnelle dans ce groupe naissant. En tant que Chef de département Commerce Général - Marketing Europe, j’ai vécu avec enthousiasme cette période où il fallait mettre au point tous les processus et toutes les pratiques commerciales.
Puis, j’ai vécu 4 années dans un mon « job de rêve ». Celui de directeur de la filiale néerlandaise. Un poste à responsabilité dans une filiale à taille humaine où j’ai mis en pratique mon savoir-faire dans les relations humaines appris lors mes années italiennes. Quatre années sans fusion... quoique ! C’est aussi à cette période que nous avons mis en commun un certain nombre de fonctions entre les Pays-Bas et la Belgique. Une opération délicate car il y avait des précédents qui ne s’étaient pas vraiment bien passés…
La dernière fusion en date, je l’ai vécue en 2012 en Belgique où je reposais, non sans une certaine réticence, mes valises avec ma famille. François Cornelis m’avait convaincu de prendre le poste de responsable commercial chimie de base en 2007. Domaine dont je ne savais pas grand-chose... Je retrouvais surtout Bruxelles et les locaux de Petrofina. Ceux de mes débuts. Étrangement, peu de choses avaient changé ici depuis 10 ans. Ni les gens, ni les processus, ni l’ambiance. On avait l’impression que les irréductibles « gaulois » belges de Petrofina s’étaient retranchés pour se protéger des effets de la fusion. Les choses ont radicalement changé lorsque Patrick Pouyanné a succédé à François Cornelis qui avait probablement œuvré à protéger les équipes bruxelloises. Patrick Pouyanné a fait bouger les lignes ; c’est le moins qu’on puisse dire ! La fusion à marche forcée de la pétrochimie a impacté plus de 70 000 personnes, de l’aval et de l’amont. Ces personnes n’avaient ni l’habitude de se parler, ni les mêmes organisations. Fort de ma triple expérience multiculturelle, du siège parisien et des fusions, je m’efforçais de décoder les messages pour rassurer mes collègues belges. Si ce rapprochement a été douloureux, force est de reconnaître que l’activité raffinage-marketing est aujourd’hui une machine de guerre.
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