Dans le plus grand secret... la naissance du logo ELF
Publié le 07 janvier 2019, modifié le 18 juin 2020
Nous sommes en 1962. Jeune graphiste, tout juste de retour d’AlgérieTotal en AlgérieShow more et en quête d’un emploi, je rencontre, via une relation de mon père, un certain Jean-Marie Chourgnoz, un personnage atypique, féru de musique et curieusement doué. Ce dernier s’apprêtait à créer une petite agence de communication à Lyon que je suis le tout premier à intégrer alors et que nous développerons tous deux pendant une dizaine d’années jusqu’à être une trentaine : dessinateurs, rédacteurs, photographes et commerciaux. Nous y vivrons surtout une aventure hors norme, de celles dont on se souvient 60 ans plus tard. Il s’agissait de la création d’une nouvelle grande marque : Elf. Elle sera l’œuvre de trois personnes : Jean-Marie Chourgnoz pour le concept, Erich Brenzinger pour la typo très moderne à l’époque, et moi-même pour le dessin.
Tout débuta lors d’une soirée à Paris. Jean-Marie y rencontra des personnes de l’Union Générale des Pétroles qui travaillaient sur la recherche d’un nom et d’un logo pour rebaptiser cette grande entreprise nationale et en faire une marque grand public. Une entreprise à laquelle tenait tout particulièrement le Général de Gaulle. Ces personnes n’étaient alors pas convaincues du travail des agences initialement consultées. Jean-Marie, qui était plutôt homme à réfléchir avant de prendre un crayon, leur proposa une première approche en s’inspirant des pompes à essence, appelées volucompteurs, fonctionnant avec deux cylindres. D’emblée, sa démarche séduisit les responsables de l’UGP qui nous confièrent la création de leur nouvel emblème à la barbe et au nez des grandes agences de communication parisiennes. C’était le début d’une belle histoire qui durera 9 ans. Notre petite agence lyonnaise fut alors obligée de migrer à Paris pour se rapprocher de l’UGP. Nous emménageâmes rue d’Arsonval dans le 15ème arrondissement, tout près de la future Tour Montparnasse, dans un ancien atelier d’artiste. A la demande de l’UGP, celui-ci fut vite transformé en un véritable bunker avec portes blindées et barreaux aux fenêtres. L’affaire était sérieuse. RIEN de nos travaux ne devait filtrer à l’extérieur.
Nous commencions par nous pencher sur le futur nom de la marque, chose oh combien sensible et difficile. Pour cela, nous sollicitâmes IBM qui fit mouliner un étrange appareil répondant au nom d’ordinateur. Cette immense machine nous sortit toutes les combinaisons possibles de mots composés de trois, quatre et cinq lettres livrées sous forme de grands paravents dépliables... Nous nous retrouvâmes ainsi face à des dizaines de millions de mots à analyser. Pour réaliser ce travail titanesque, nous embauchâmes des étudiants qui vinrent tous les week-ends cocher les mots prononçables et colorier ceux évoquant l’univers du pétrole ! Sept mots sortirent alors du lot comme Galo, Ritm, Alzan, ou... Elf. Alors que nous les testions, l’UGP nous demanda de concevoir un prototype de caisson carré lumineux en blanc sur fond orange pour l’expérimenter sur les onze stations-service de l’UGP en Allemagne. Et comme onze se prononce et s’écrit Elf en allemand, le choix de l’UGP se porta naturellement sur Elf. Nous avons donné un sens à posteriori à cet acronyme: Essences et Lubrifiants de FrancePays FranceShow more. Pour la petite histoire, nous avons échappé au mot RAP, pour « Régie Autonome des Pétroles », suggéré par le Général de Gaulle !
Le nom identifié, il nous restait à créer le logo. Ce travail, mené dans le secret le plus absolu, dura au moins trois ans. Une fois par semaine, nos interlocuteurs de l’UGP s’invitaient à l’agence pour d’interminables séances de brainstorming. Nous déjeunions avec Messieurs Rochon, Renaudeau d’Arc et Malapert devant la cheminée dans laquelle Jean-Marie Chourgnoz faisait des grillades... L’ambiance était particulièrement sympathique. Après des mois de réflexion, Jean-Marie eut la conviction que notre future marque devait symboliser une énorme flèche qui indique la station. Et de découper deux cartons en forme d’équerre, l’un bleu ; l’autre rouge, et de les faire s'interpénétrer. Ce qui leur plût. Nos interlocuteurs Elf comptant de nombreux polytechniciens dans leur rang, je pris un malin plaisir à faire figurer deux fois le nombre d’or dans la mise au point des deux flèches. Séduits par ce dessin, je leur expliquai que cette figure était inspirée par les dents d’un trépan. La première manche, celle de la forme tricolore, était gagnée. Il nous fallait remporter la seconde : celle des couleurs. Comme tous les pétroliers de FrancePays FranceShow more avaient déjà déposé les couleurs du drapeau tricolore, nous nous rabattîmes sur le bleu d’un vilain canard chinois en laque posé sur le bureau d’un ingénieur décideur pour l’UGP qui nous enquiquinait. Un bleu qui se maria fort bien avec un rouge orangé. Et le tour était (presque) joué.
Ce bleu et ce rouge inédits, nous dûmes les déposer sous forme de planches gouachées à la main et vernies (Pantone n’existait pas encore) afin de ne pas risquer d’être attaqués par les autres marques tricolores, Esso, Mobil…. Et c’est à moi qu’il revint enfin, quelque vingt ans plus tard, alors que l’agence-mère n’existait plus, de les standardiser définitivement pour toute utilisation d’encres d’imprimerie, de peintures mates ou brillantes, de laques ou d’émail.
La nouvelle marque, nous la soulignâmes d’un graphisme ELF moderne (l’Helvetica qui l’inspira s’appelait encore Haas), gras et noir. Personne alors n’utilisait le noir en tant que couleur mais seul le noir était capable de faire « claquer » celles de notre trépan. Et ce noir, lors de nos séances de collaboration avec les architectes de la future station-service, nous le leur imposâmes pour le mât et les rives d’auvents. Notre embarras vint ensuite de ce que Caltex, qui était jusqu’à son absorption par Elf une marque à part entière, tint à figurer à côté de notre emblème au prorata de ses parts. Mais, selon que ce prorata était calculé par rapport à la surface totale du futur panneau lumineux, à sa hauteur ou à sa largeur, le résultat était loin d’être le même. Toutes les solutions furent envisagées, même les pires, et cela prit énormément de temps. Mais heureusement, sur le mât des premières stations, on put enfin accrocher, après de très longues séances de discussions, un simple cartouche « Relais Caltex ». Lisible mais esthétiquement discret.
Le nom et le logo choisis, la séquence des tests grandeur nature débutait. Le prototype du caisson lumineux définitif– dont je détiens le prototype dans mon grenier en Ardèche - et que nous avions développé après de multiples aller-retours à Marseille chez un industriel fut ensuite longuement testé en région parisienne. Nous faisions notamment en catimini des essais de nuit dans le parc d’une usine pour déterminer, en fonction du nombre de couches de peinture, du parfait équilibre entre les visons diurne et nocturne.
Pour parfaire nos essais, nous disposions d’une station-service totalement factice à Fleury-en-Bière près de Barbizon. Je me rappelle encore d’un certain Monsieur de Kervénoaël en charge de l’image chez UGP passant en voiture caméra au poing pour vérifier que le nom était lisible et mémorisable en roulant. Car si un graphisme n’a que des verticales, tout disparait dans le mouvement. Pour ne pas révéler le nom de la marque, nous avions peint le mot Olt sur cette station et sur des camions car Elf et Olt avaient le même rapport de lettres. C’est alors que Daniel Humbert, mon assistant, m’appelle affolé, alors que j’étais cloué au lit, pour me dire qu’un camion, arborant le mot Elf, circule dans Paris. La société qui faisait les tests avait oublié de placer le mot Olt alors que, depuis trois ans, nous redoublions de précautions... Fort heureusement, personne n’y avait prêté la moindre attention !
Et puis les fameux ronds rouges ont débarqué. En une seule nuit, ils habillèrent soudainement des centaines de stations-services. Des ronds qu’une autre agence avait imaginés. Quant à la nôtre, devenue trop grande trop vite, elle ne se survécut pas à ces années Elf. Mais l’aventure humaine reste, elle, impérissable.
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