Atterrissage mouvementé à Bonny

Par sa géographie, sa démographie et ses richesses en hydrocarbures, le Nigéria est un pays hors-norme. Il possède notamment l’une des plus importantes réserves de gaz au monde. J’ai eu la chance d’y vivre 4 ans de 2013 à 2017. Basé à Abuja, la capitale administrative, puis à Lagos, j’ai été successivement négociateur de contrat gaz domestique puis Directeur Adjoint Actifs Gaz. Lors de cette deuxième mission, je me rendais régulièrement sur le complexe industriel de Bonny pour participer à des comités techniques et auditer les infrastructures gazières du complexe industriel NLNG dont Total est actionnaire. Cette usine de production de gaz liquéfié présente la particularité de se situer au sud-est du delta du Niger à l’entrée du golfe de Guinée. Elle se trouve près de la ville de Bonny dans un étrange paysage de mangrove.

Pour rejoindre l’île de Bonny, nous prenions souvent un Dormier 328 -  bimoteur à hélices - depuis Lagos. Lors d’un vol, nous avons essuyé un orage terrible secouant si fortement l’avion que nous pensions que celui-ci allait s’ouvrir en deux. L’ambiance à bord était proprement indescriptible entre les personnes malades, celles qui hurlaient, déclamaient des prières à la façon des évangélistes, ou encore, qui se confessaient à haute voix... Pilote amateur à mes heures, je m’efforçais de garder mon calme et je décidai de m’en remettre au professionnalisme des deux pilotes. Alors que tout le monde pensait que notre fin approchait, nous vîmes subitement l’avion sortir des nuages puis se poser comme une fleur sur la piste de Bonny Aistrip. Tandis que notre aéronef touchait le tarmac, mes compagnons d’infortune redoublèrent de hurlements pensant qu’il se crashait. Comprenant qu’il avait atterri, ils se ruèrent vers la porte pour sortir de la carlingue dans une cohue indescriptible sans respecter aucune consigne de sécurité. Flegmatique, je pris mon temps pour quitter tranquillement l’aéronef comme si rien ne s’était passé. Le lendemain, le temps était magnifique et je pus visiter, comme prévu, un tanker de GNL.

Depuis le début des années 1990, Total est en effet partie prenante du consortium Nigéria LNG Limited à hauteur de 15% aux côtés de l’état nigérian, de Shell et de Eni pour exploiter ces immenses réserves de gaz issues d’une cinquantaine de gisements onshore et offshore disséminés à travers le delta du Niger et le golfe de Guinée puisque le gaz vient également de gisements offshores comme Bonga (Shell) et Amenam, Ofon, Akpo (Total). En dépit d'une production assez variable de GNL, cet actif, le plus important pour Shell, Total et Eni au Nigeria, génère depuis ses débuts des rendements élevés. Sa rentabilité, il la doit au cadre fiscal particulièrement avantageux offert à l’époque par le Nigéria aux groupes pétroliers et à la hausse continue des prix du gaz liée à l’essor de la demande aux États-Unis puis en Asie (JaponTotal au japonShow more, Corée du sud et Taiwan). Développée en quatre phases, l’usine est entrée en service en 1999 pour monter en puissance jusqu’en 2007 avec la mise en service du 6^ème train. On peut sommairement comparer ces derniers à d’immenses réfrigérateurs où le gaz est liquéfié en le descendant à très basse température afin de le transporter sur des tankers qui l’acheminent sur les grands marchés mondiaux. Ce gaz, qu’autrefois on torchait faute de débouché, est aujourd’hui une importante source de revenus. NLNG produit aujourd’hui jusqu’à 24 millions de tonnes par an de GNL et 5 millions de tonne de GPL. Grâce à elle, le Nigéria est l’un des plus grands exportateurs au monde de GNL. Depuis 2008, la production a été régulièrement contrariée par des actes de sabotage de plus en plus fréquents dans le delta du Niger. En raison de ces multiples ramifications pour relier les nombreux champs, le réseau de pipeline est particulièrement vulnérable aux actes de malveillance. Malgré tout, l’histoire de NLNG s’écrit au présent et au futur avec la construction annoncée d’un nouveau train. Le 7^ème...